La Paysanne

Chapitre 1 : Boulden, de nos jours




Les guides touristiques, s’il y en avait eu à cette époque lointaine, n’auraient pas manqué de vanter la ville et ses particularités. Son territoire était constitué d’une plaine étroite, coincée entre le grand fleuve Unster et les montagnes de la Licorne qui lui offraient un arrière-plan grandiose. Concernant l’architecture par contre, ils auraient eu du mal à lui trouver des qualités. Sur les premiers contreforts, le palais du prince, gros et lourd dominait les maisons cossues et sans charme des commerçants. Au premier plan le marais putride qui entourait la cité était alimenté par une rivière aux eaux empoisonnées, un simple torrent en fait. Entre le marécage et la ville haute, la ville basse était principalement constituée de taudis, sauf la zone commerçante qui s’organisait autour d’une place située à proximité de la porte orientale.

Deux routes seulement reliaient la ville au reste du monde. La plus petite, vers le nord, ne faisait que rejoindre quelques villages agricoles qui chaque jour envoyaient de quoi nourrir les milliers de résidents. Vers l’est, une large avenue de moins de six longes, traversait le marécage pour rejoindre un petit port sur les bords de l’Unster. Il procurait un débarcadère pour les navires de passage, une zone d’embarquement pour le bac traversant la rivière et abritait une flottille de pêche qui ravitaillait la cité en poissons frais. La grande route du sud qui reliait les deux grandes puissances du monde civilisé passait sur l’autre rive du fleuve. Sa largeur rendait impossible la construction d’un pont. Le bac et le port était donc les seuls moyens d’accès à Boulden, la maintenant dans un isolement relatif.

Cet isolement convenait parfaitement aux commerçants de la ville. Parce que les transactions qui s’y déroulaient nécessitaient une certaine discrétion. La principauté était le seul royaume de la vallée de l’Unster où les êtres intelligents pouvaient être achetés ou vendus comme du bétail. Les malchanceux de tout un continent se retrouvaient ici et perdaient, définitivement pour le plus grand nombre, leur statut d’individu pour acquérir celui d’objet. Toutes les races avoisinaient sans distinction ; l’homme, l’edorian, le nain ou le bawck se côtoyaient, compagnons d’infortune. Proche de la porte orientale, ce marché auquel Boulden devait sa richesse était noir de monde. Boulden était le grand centre du trafic d’esclave.

L’un de ces marchands de chair se nommait Pehla Selmanthi. Et si un homme pouvait être l’illustration du bonheur, c’était bien lui. La journée s’était avérée profitable. La matinée était à peine avancée, mais il avait déjà vendu trois esclaves, beaucoup moins que ses confrères mais les siens coûtaient beaucoup plus cher. Il s’était spécialisé dans le domaine de la perversion, cela s’était révélé des plus lucratifs. Et plus c’était pervers, plus cela rapportait. Le fonds de commerce de Pehla était constitué de jeunes filles à la fleur de l’adolescence. Sa pensionnaire la plus âgée ne devait pas avoir plus de neuf ans. Et ce matin même, il en avait vendu une de six ans à peine. La pauvrette pleurait toutes les larmes de son corps à se voir exposée presque nue, elle ne comprenait pas ce que tous ces gens lui voulaient. Et cela valait mieux pour elle. L’aurait-elle su elle aurait été pétrifiée d’horreur.

Un mouvement attira attention du marchand. La foule au pied de son estrade était dense, preuve de son succès, bien que certains ne soient pas venu acheter mais juste se rincer l’œil. Qu’importe, leurs racontars constitueraient sa meilleure publicité. Au milieu de cette foule, un couple cherchait à atteindre le premier rang, entraînant quelques protestations. Une silhouette menue enveloppée d’une cape qui la couvrait entièrement s’avançait en écartant les gens. Elle était suivie par un jeune homme la dépassant d’une bonne tête, la vingtaine environ, l’air rébarbatif. Plus exactement, il essayait d’avoir l’air menaçant, mais sa façon de se déplacer dénotait l’individu plus à l’aise avec les livres qu’avec une épée. Il n’avait pas d’arme apparemment, mais son expression faisait mourir les remarques acerbes sur les lèvres de ceux qui auraient voulu lui chercher querelle. La façon dont il couvait du regard la forme encapuchonnée qui le précédait, ajoutée à sa stature trop frêle pour un homme, semblait indiquer que cette dernière était une femme. Certaines rondeurs prometteuses à hauteur de la poitrine et des hanches le confirmaient. Sa taille inférieure à la moyenne indiquait une humaine ou une stoltzin d’Helaria plutôt qu’une edoriane. Comme elle était couverte, il était impossible d’estimer son âge ou sa beauté. Qu’importe, sa démarche assurée semblait indiquer une certaine maturité. Elle était certainement trop vieille pour figurer sur les étals de Pehla. Mais il n’était pas exclu qu’elle vienne ici s’approvisionner. Le fait qu’elle se dissimule suggérait une dame noble du palais qui ne voulait pas se faire reconnaître. Sa curiosité éveillée, le marchand de chair la surveilla du regard.

Elle s’arrêta à quelques rangs de son estrade et repoussa sa capuche. C’était bien une femme en effet. Son visage était masqué par un voile qui laissait deviner des traits fins et délicats, mais tout ce que l’on voyait était des yeux d’un bleu presque gris, fardés avec soins. Elle semblait jeune à première vue. Cependant sa chevelure blonde qui disparaissait sous son vêtement était parsemée de quelques rares fils gris et de fines rides qui rayonnaient de ses yeux démentaient cette première impression. Mais ce qui attira tout de suite l’attention de l’esclavagiste était un rubis incrusté au milieu de son front, une pierre de toute beauté, pas particulièrement grosse, mais qui à elle seule aurait justifié l’acquisition de cette inconnue. Pourtant sa tenue ne semblait pas indiquer une profusion de biens. Ce qui l’excluait de la noblesse de la ville. Sans compter que ce qu’il voyait d’elle ne lui disait rien. Or vu la taille de la cité état, les familles bien nées étaient peu nombreuses et il les connaissait toutes. Une étrangère seulement et pas très riche. Envolés donc ses espoirs d’une bonne affaire avec elle.

Pehla se désintéressa de cette nouvelle venue pour retourner à ses affaires. Il avait à encore vendre deux jeunes paysannes et il allait devoir négocier sec pour en tirer un bon prix. La première, une fillette de sept ans, était jolie. Mais elle portait trop la marque de son origine yriani sur ses traits pour espérer la faire passer pour autre chose qu’une fille de la campagne. Il n’en retira qu’une centaine de cels, ce qui était pas mal malgré tout. Sans compter que l’acheteur paya en bonnes et honnêtes pièces d’or frappées au sceau du voisin nordique de la cité-état.

Pour la seconde et dernière de la journée, c’était une toute autre affaire. C’était également une paysanne toute juste arrivée du royaume d’Yrian. Mais bien que provenant de ses provinces du nord, elle avait le teint mat des filles de la côte sud du continent. Son corps était bien fait. Elle n’avait pas la grâce d’une noble ou d’une fillette élevée dans ce but et éduquée comme il fallait dès son plus jeune âge. Par contre, elle avait coûté beaucoup moins cher à acquérir, il n’y avait pas à la nourrir pendant dix ans avant de toucher les bénéfices sur l’investissement. Il suffisait de repérer les filles vendables assez tôt puis le moment voulu d’effectuer un raid sur la ferme familiale. Rien ne forçait Pehla à dire la vérité sur l’origine de sa marchandise. Personne n’était en mesure de vérifier.

La toile qui fermait le fond de son présentoir s’écarta et une fillette de neuf ans au maximum entra, fermement poussée par-derrière. Elle était en larme. C’était le problème avec les fermières. Chez elles, elles étaient assez libérales de mœurs – bon, celle-là était encore trop jeune pour cela – mais quand on les forçait elles le supportaient assez mal. Afin de maquiller son origine, on lui avait dessiné au henné sur le corps des motifs sangärens et posé une chaîne qui reliait une boucle d’oreille à une aile du nez comme c’était la coutume chez ce peuple de sauvage.

En voyant la fillette entrer, la femme au rubis eut un sursaut. Une larme coula au coin de son œil, en fait ce n’était pas une simple larme, mais elle avait carrément le regard humide. Le jeune homme aussi eu un mouvement brusque. Elle posa une main sur son bras pour le retenir. Il bouillait intérieurement, la colère qui l’animait était si visible que ses voisins s’écartèrent autant qu’ils purent, c’est-à-dire bien peu vu la densité de la foule.

Avec son métier, Pehla n’aurait jamais atteint son âge s’il n’avait pas eu le sens de l’observation. Il avait remarqué la réaction des deux nouveaux spectateurs ainsi que le geste d’apaisement de la femme et il en avait tiré les conclusions. C’est elle qui commandait, il s’en doutait depuis qu’il avait vu le rubis, mais il en était sûr maintenant.

Il se tourna vers la foule, prenant sa respiration pour annoncer d’une voix forte :

— Voici maintenant une princesse nomade Sangären, l’une des nombreuses filles du seigneur de guerre Relgark, elle a été capturée avec ses sœurs par un rival lors du raid malheureux qui a coûté la vie à son père. Mon représentant a pu l’acquérir pour trois chevaux et huit chèvres. Elle a été élevée au sein d’un peuple connu pour sa sensualité et sa connaissance des plaisirs de la chair. Elle donnera maintes jouissances à celui qui la possédera. Sa mise à prix de départ est de cent cinquante cels.

Cette somme était élevée, mais il devait continuer son mensonge jusqu’au bout s’il voulait qu’il prenne. Il remarqua deux hommes qui quittaient l’attroupement devant lui. Des Sangärens. Une sacrée tuile, ces nomades se préoccupaient peu que leur peuple soit réduit en esclavage, ils étaient les premiers à vendre les leurs, mais ils ne supportaient par que leurs femmes soient dénudées en public. Que Relgark n’ait jamais existé et que la fillette ne soit pas Sangären importait peu du moment où il l’avait présentée comme telle. Il aurait dû prévoir au moins un voile qu’il aurait ôté une fois assuré qu’aucun membre de cette engeance n’était présent. Mais il était trop tard pour se lamenter maintenant. Heureusement, le chef de ses gardes les avait vus aussi, il leur avait emboîté le pas avec quelques hommes. Demain, deux corps de plus croupiraient sur les berges du torrent et le problème serait réglé. Nul ne s’occuperait de deux nomades assassinés. Les seuls qui auraient pu enquêter sur ce double meurtre n’avaient pas le droit d’exercer dans la ville. Tout allait donc pour le mieux.

Rassuré, Pehla pu se concentrer sur la vente.

— Qui propose la première enchère, demanda-t-il.

Il n’eut pas longtemps à attendre.

— Cent soixante cels, annonça une voix dans laquelle il reconnut celle d’un complice.

— Cent soixante, pour une princesse, c’est bien peu, elle vaut au moins cinq fois plus. Je ne peux pas la lâcher à moins de deux cents cels sinon je perds de l’argent. Qui en demande deux cents. Allez, deux cents cels et vous ferez une bonne affaire.

Une main se leva. À la grande surprise de Pehla, c’était sa belle inconnue. Il resta muet quelques instants. Étrange, pensa-t-il, c’est elle qui mène les enchères et pas son commis.

— Deux cents cels, dit-il enfin, pour une jeune vierge Sangären, c’est donné. Personne ne proposera d’avantage ?

— Une princesse Sangären ça, lança une voix, une simple paysanne.

Il avait reconnu un complice. Dénigrer la marchandise pour qu’il puisse en vanter les mérites faisaient partie de ses tactiques de vente.

— Une simple paysanne. Vous ne l’avez pas bien observée. Regardez mieux. Le sang des Sangärens se lit sur son visage, sur son teint. Regardez cette peau douce qui n’a jamais été exposée à l’ardeur d’un soleil brûlant, ou ces mains fines qui n’ont jamais travaillé la terre. Elle porte les motifs qui symbolisent sa tribu et son rang. Vous connaissez les Sangärens, personne n’oserait porter de tels tatouages s’il n’était pas de lignée royale. Je serai malhonnête si je vous cachais que sa tribu n’existe plus, elle a été exterminée, ce qui diminue sa valeur mais deux cents cels c’est ridicule. Personne ne montera à deux cent vingt au moins ?

Une main se leva, trop vite pour qu’il identifie son propriétaire. Quelques tösihons après la femme porta l’enchère à deux cent cinquante cels.

— Deux cent cinquante cels pour la belle dame devant moi, qui dit mieux, qui ira jusqu’à trois cents ?

— Deux cent cinquante-cinq cels.

— Deux cent cinquante-cinq cels, personne ne propose mieux ? Il s’agit d’une princesse tout de même.

— Deux cent soixante cels, annonça la femme.

— Deux cent soixante-cinq cels, lança son adversaire après un instant d’hésitation.

En revanche il n’y avait aucune hésitation quand l’inconnue monta à trois cents. L’autre surenchérit aussitôt.

La curiosité de Pehla était éveillée, il voulait savoir qui était cette femme et il se mit à espérer qu’elle avait les liquidités nécessaires pour gagner la vente. Il avait été bien prompt à l’éliminer des acheteuses potentielles. Ni elle ni son adversaire ne semblaient compter à la dépense. Peut-être envisageait-elle de vendre son rubis qui valait bien dix fois cette somme. Bientôt les cinq cents cels furent atteints puis dépassés. Tout le monde retenait son souffle à ce qui de toute évidence n’était plus une vente mais un duel.

Ils approchaient des mille cels. Pehla était au bord de la syncope. La meilleure vente de la journée sans que ses complices n’aient à intervenir pour faire monter artificiellement les enchères. Et tout ça pour une simple paysanne, un peu de henné et un bijou en faux or d’un quart de cel. Jamais il n’avait fait une aussi bonne affaire.

Les mille cels furent atteints. C’était la voix masculine qui avait annoncé l’offre. L’inconnue hésita quelques vinsihons. Pehla espérait qu’elle allait encore monter, mais il était persuadé que c’était la fin, qu’elle ne pouvait plus aller plus haut.

— Mille cent cels, annonça-t-elle enfin.

L’esclavagiste interpréta l’ombre qui passa dans les yeux bleus. Elle bluffait, elle n’avait pas la somme. Son compagnon se pencha vers elle et lui murmura quelque chose à l’oreille, mais elle le repoussa.

— Tu prends de biens gros risques, belle inconnue. Tu sais ce qu’il en coûte de proposer plus que ce que l’on possède.

— J’en suis parfaitement consciente, répondit-elle d’une voix claire.

— Parfait, conserves-tu ton offre ou te rétractes-tu ?

Elle réfléchit un instant.

— Je n’ai pas cette somme sur moi, mais je peux avoir le reste dès demain, dit-elle enfin.

— Tu connais la règle. L’achat doit être réglé immédiatement après la vente. Sinon la transaction n’est pas valable.

— Un jour de délai seulement, le temps que les banques ouvrent leurs portes. J’ai un crédit suffisant dans la banque de Nasïlia.

— Désolé, mentit-il.

Elle se concerta un moment avec son compagnon. Pehla n’entendit pas ce qu’ils se disaient. Mais la réaction du jeune homme était révélatrice. Il n’aimait pas ses paroles. Elle releva la tête vers le marchand d’esclave.

— Comme ça au pied levé, je ne peux pas disposer de plus de mille cels, dit-elle enfin, je n’avais pas prévu que les enchères monteraient aussi haut.

— Tu abandonnes donc ?

— Non, j’y rajoute juste autre chose en paiement.

— Et quoi donc ? Une reconnaissance de dette. Je ne peux pas les accepter.

— Une nuit avec moi.

— Une nuit pour quoi faire ?

— Laisse toute liberté à ton imagination.

Elle ôta le voilage qui lui masquait le bas du visage, révélant des traits magnifiques et une bouche peinte en rouge à la façon des femmes des côtes sud. Mais ce n’était pas cela le plus remarquable. Il y avait autre chose. Le regard de Pehla se posa aussitôt sur les lignes dorées en toile d’araignée sur ses joues et aux petits diamants bleus incrustés dans la peau. Aussitôt, il sut qui elle était. Ou plutôt, il ne savait ce qu’elle avait été presque vingt ans plus tôt. Il ignorait tout de son peuple d’origine, peut-être était-elle Sangären, tant le dessin sur son visage rappelait leur style. Venait-elle au secours d’une compatriote ? N’avait-elle pas reconnu une paysanne étrangère ? Ou était-ce la coutume de son peuple qui mettait un point d’honneur à traiter comme Sangären toute personne présentée comme telle afin de ne jamais perdre la face en public.

— Je te connais, dit-il enfin, tu es celle que l’on appelle Serlen, l’ancienne reine d’Orvbel.

— Serlen est morte quand la dynastie d’Orvbel a été détrônée, répondit-elle.

Il l’avait entendu dire en effet. Mais personne n’avait pu montrer son cadavre.

— À faire de fausses enchères, tu risques de te retrouver esclave ou putain.

— Que serait la vie sans le piment du risque ?

— Un discours que j’aime entendre de la part d’une jolie femme. Mais en dehors d’un goût commun pour le plaisir, qu’as tu donc à m’offrir que je n’ai déjà. Ça fait déjà vingt ans que j’entends parler de toi. J’ai des tas d’esclaves expérimentées et bien plus jeune dans mon harem.

— Certainement, mais je doute qu’elles aient mon expérience. Et est-ce le corps d’une vieille femme ?

Elle laissa tomber sa houppelande, révélant une grande part de son corps. À sa vision, un brouhaha monta de la foule.

Non, ce n’était pas le corps d’une vieille femme. Elle portait un pantalon bouffant en soie et un corsage également bouffant qui lui laissait la taille et les épaules nues. Une taille fine et mince que l’esclavagiste aurait presque pu enserrer dans ses mains. Sa chevelure dorée parsemée de fils gris lui descendait jusqu’à la taille. Elle paraissait loin de l’âge qu’elle avait, à moins que sa célébrité soit plus récente qu’il ne le croyait. Mais non, il allait bientôt atteindre la trentaine et Serlen était déjà connue quand il était adolescent. Elle avait réellement quelques années de plus que lui. Et pourtant, elle ne portait aucun des stigmates liés à l’âge. Elle avait une peau lisse et sans défaut, aucune ride, aucune marque indiquant qu’elle avait enfanté, aucun relâchement des chairs. Rien hormis de rares cheveux gris qui se remarquaient à peine dans sa chevelure blonde et quelques ridules au coin des yeux.

Le plus remarquable n’était cependant ni sa beauté ni sa jeunesse apparente mais le signe distinctif qui l’avait rendue célèbre. À l’instar de son visage, toutes les parties visibles de son corps étaient brodées de fils d’or et incrustées de pierres précieuses. Il y en avait de toutes les tailles et de toutes les couleurs, même si aucune n’excédait la taille d’un noyau d’olive. Pour autant qu’il puisse en juger, seule la face interne de ses mains semblaient épargnée. L’ensemble n’était pas disposé au hasard, mais les vêtements l’empêchaient d’apprécier le motif.

Un instant, Pehla fut tenté d’accepter son offre, il n’était qu’un homme après tout, avec des pulsions. Jusqu’alors, il avait toujours cru qu’elle n’était qu’une légende. Savoir qu’elle existait réellement excitait sa curiosité. Et il se demandait quel effet cela faisait de la caresser, de laisser courir ses mains sur cette peau douce constellée de diamants piquants et durs. Étaient-ils chauds comme elle, ou froids comme la pierre ? Mais il se reprit vite. C’était un professionnel et il n’allait pas se laisser amadouer par un joli minois, aussi exotique fut-il.

— Je suis désolé, dit-il enfin, mais tu ne me proposes rien que je ne puisse m’offrir pour quelques pièces d’or. Quant à tes bijoux, ce n’est rien de plus qu’un tatouage un peu exotique qui ne justifie pas la somme que je perdrais à accepter.

— Pourtant il y a là une plus grande fortune que tu n’en as jamais possédé de toute ta vie.

— Mais je sais qu’on ne peut pas te les enlever sans te tuer et tu n’es pas facile à tuer. Ceux qui ont essayé et sont morts sont trop nombreux pour que je tente ma chance.

— Comme tu voudras.

Elle n’insista pas. Elle aussi était une professionnelle. Elle savait que Pehla ne reviendrait pas sur sa décision. Le jeune homme la recouvrit de sa houppelande. Elle la relaçait quand Pehla l’interpella une dernière fois.

— Je resterais bien sûr à ta disposition si tu veux un homme d’expérience pour corser les plaisirs avec ton jeune amant.

Aussitôt ses paroles prononcées, il sut qu’il avait dit une bêtise. La ressemblance entre la femme et le jeune homme lui fit comprendre aussitôt qui il était. Bien que sa légende n’en ait jamais fait mention, elle avait l’âge d’avoir un fils. Vu sa jeunesse apparente il avait été loin d’imaginer ce dernier en adulte ; et pourtant il ne pouvait être que cela, ou un jeune frère. Il hésita entre les deux solutions et finit par pencher pour celle du fils, à condition qu’elle l’ait eu très jeune. Le couple ne sembla pas relever sa remarque stupide et quitta la place en silence.




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laurent - 22/3/17 - 04:02 pm
laurent - 22/3/17 - 03:58 pm
laurent - 22/3/17 - 03:57 pm

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